Adrienne ou la survie du "Tant mieux"...
On découvre la jeune Adrienne, petite fille de quatre ans au début des années quarante, vivant un été difficile chez sa cruelle grand-mère maternelle, Bonne-Maman de Gand. Cette dernière malmène sa petite-fille, la forçant à réingurgiter son vomi, après lui avoir servi des harengs au vinaigre au petit déjeuner. Adrienne se retrouve livrée à elle-même face à "ce monstre", face à “l’évidence de sa perte”. Un seul terme, salvateur, lui vient alors à l'esprit, qu’elle répète sans cesse tel un mantra : tant mieux. Elle ne sombrera pas!
Amélie Nothomb esquisse le portrait à double face d'Adrienne, de son enfance à sa vie adulte. Chaque personnage du roman a en effet une double personnalité. La grand-mère de Gand est dure avec sa famille, mais douce avec son chat, Pneu. Sa mère Astrid, la mère, est bienveillante avec Adrienne, mais d’une grande méchanceté avec ses autres filles et les chats. Adrienne vit également un dédoublement, cette dissociation de l'être, qui lui est indispensable pour s’adapter à des situations difficiles, voire traumatisantes. "Ce que l'enfant avait découvert au sujet de sa mère portait un nom qu'elle ignorait : la duplicité. Maman était double, une part d'elle lui échappait. Pour la rejoindre en des régions aussi ténébreuses, une phénomène identique se produisit en elle ; une autre surgit qu'elle ne connaîtrait jamais, qu'elle ne rencontrerait jamais. Le double naquit en Adrienne la nuit de son acceptation de la duplicité maternelle."
Ce comportement versatile est symbolisé par deux mots de survie : tant mieux. Ce double du "tant mieux" lui permet de continuer à aimer, malgré tout, ses proches maltraitants et les situations blessantes : une grand-mère féroce, une mère marquée par sa propre enfance difficile, des iniquités au sein de la fratrie, un père qui dissimule sous des dehors souriants une face peu reluisante, des parents en dispute perpétuelle et entretenant sans vergogne des relations extraconjugales … Adrienne est heureusement cette enfant lucide, intelligente et courageuse, qui se fraye un chemin jusqu’à l’âge adulte dans une famille destructrice et clivante. Elle ne se ment pas à elle-même, c’est juste de l'adaptation, de la survie. Etayée par son mantra implacable, Adrienne arrive à tout surmonter.
Sa mère, surnommée "Madame Tant mieux”, est décédée le 11 février 2024 à 86 ans. Au départ incapable de parler de la mort de sa mère, c’est bien après qu'Amélie Nothomb évoque celle qui lui répondit, un jour où petite, elle attendait une déclaration d’amour de sa mère : “Séduis-moi.” Stratégie de survie. "Tant mieux" résonne alors comme une déclaration d'amour d'une fille et un hommage merveilleux, teinté de pudeur. La vie d’Adrienne, passée du conte allégorique à la réalité, prend une belle et puissante dimension. Quelle fille n'est-elle pas imprégnée, douleureusement et tendrement, de la douleur d'enfance de sa maman? Ne ressent-elle pas encore plus d'amour face à la force résiliente d'une petite fille devenue, envers et contre tout, une mère, sa propre mère?
Amélie Nothom interroge, dans son dernier roman la manière, dont la vie de ses parents, et en particulier celui de sa mère, a façonné sa propre histoire et sa personnalité. Les deux parties du livre (le conte allégorique, puis le récit de vie) éclairent la question sous des prismes complémentaires : un conte distancié, puis un bref discours analytique, dans lequel l’autrice glisse des aveux personnels et ses lignes les plus touchantes. Le livre oscille entre distance et intimité, cherchant une réponse au paradoxe de la relation à sa mère : leur proximité filiale dans l’absence de ressemblance.
Dans ce dernier opus, Amélie Nothomb m'a bouleversée au plus haut point, car ce roman m'a renvoyé en miroir des problématiques personnelles et mon propre rapport à ma mère, une autre petite fille blessée, mais forte à sa manière et courageuse...J'ai également été touchée par le regard tendre et pudique qu'elle porte sur cette petite fille que fut sa mère : je suis une fan inconditionnelle d'Amélie, de son génie fantasque et érudit d'écrivaine surdouée. Or, dans ce roman, sa sémantique se fait plus simple et intime que jamais, celle d'une fille qui dit adieu à sa maman, lui disant qu'elles seront toujours liées...A leur manière...
Je vous le recommande très vivement : Amélie nous livre un récit sensible d'une très grande puissance, un véritable cri d'amour pour sa mère. Encore un très grand livre de l'écrivaine, qui ne manquera pas de toucher les filles ou fils que nous sommes, et qui connaissent immanquablement ce basculement dans l'existence, qu'est la perte de notre maman...
Voici les caractéristiques techniques de cette édition chez ALBIN MICHEL :
216 pages
Prix public TTC 19.90 €
Date de publication le 20/08/2025
Format Broché
EAN : 9782226504395
À propos de l'autrice
Fille de diplomate belge, Amélie Nothomb est née le 13 août 1967 à Kobé, au Japon. Elle publie en 1992 son premier roman Hygiène de l’assassin, unanimement salué par la critique et le public. Autrice prolifique, elle publie un ouvrage par an depuis 1992. En trente ans de carrière, Amélie Nothomb a notamment été récompensée par le Grand Prix du Roman de l’Académie française 1999, le Grand Prix Jean Giono pour l’ensemble de son œuvre et le Prix de Flore 2007.